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Interview / Virginie Ryan, artiste-peintre dans ‘’Espace à louer’’ à Galerie Cécile Fakhoury : ‘‘Je suis une conservatrice de la mémoire’’

Publié le samedi 3 mai 2014  |  L’intelligent d’Abidjan



Virginie
© Autre presse par DR (Photo d`archive) 
Virginie Ryan, artiste-peintre

Après Pascale Martine Tayou dans «Akwaba, Assinie mon amour», la Galerie Cécile Fakhoury a exposé depuis le 2 mai 2014, l’artiste-peintre Virgine Ryan. Elle y présentait «Espace à louer», plus d’une centaine de pièces uniques en photographies, peinture et affichages. Un travail de documentation et d’archivage qui fait le parallèle entre un passé proche (affiches de cinéma des années 70) et un présent qui restaure depuis 2011 la mémoire ivoirienne à travers des photographies qui sélectionnent des panneaux d’affichage en Côte d’Ivoire. Rencontrée le mercredi 30 avril 2014, dans l’«Espace à louer», Virginie Ryan se dévoile.
La galerie Cécile Fakhoury vous ouvre aujourd’hui ses portes et vous y exposez vos récents travaux sous le thème d’un ‘’Espace à louer’’, quel sentiment cela vous procure-t-il ?
C’est un plaisir pour un artiste de disposer d’un tel espace avec tout le support professionnel qu’il y a, pour mettre en évidence mon rêve, fruit de plusieurs années de travaux. C’est un projet particulier qui se trouve concentré sur l’histoire d’Abidjan et de Grand-Bassam, à travers les images et des panneaux publicitaires. Ce sont des images bien particulières parce qu’elles sont toujours en contact avec un monde de désir. Ce sont des images qui communiquent sur le vécu des contemporains.

À travers ce regard que vous portez sur Grand-Bassam et Abidjan à travers vos images, quel retour espérez-vous des visiteurs à cette exposition ? 
Je souhaite qu’ils prennent davantage soin de la cité et qu’ils y posent un regard nouveau. Les photos que j’ai faites d’Abidjan sont une conversation visuelle entre la publicité contemporaine, la vie et les affiches. Pour moi, c’est un exercice pour la personne qui regarde pour comprendre la cité, à travers une vision nouvelle. Je ne pense pas qu’il y ait une personne ici, à Abidjan, qui n’ait pas vu ces affiches. C’est une sorte de coexistence entre nous, et le monde parallèle de la publicité. Etant artiste, je suis attirée par l’esthétique et je trouve esthétiquement intéressant les différents niveaux de publicité qui donnent ici un tableau final. Pour moi, c’est un projet de changer la manière de percevoir les choses. Ces images faites d’Abidjan définissent le présent et celles de Grand-Bassam, un passé proche où il y avait une habitude à fréquenter les salles de cinéma. Dans les années 80, on parlait de globalisation mais, à voir les affiches de cinéma des années 70, il y avait déjà la globalisation. L’Afrique occidentale a toujours été cosmopolite. Jai récrée une sorte de conversation pour faire comprendre que ces personnes qui sont identiques à nous, sont en réalité des ‘’demi-dieux’’. Elles sont idéalisées. Ce qu’il faut remarquer dans ces affiches de cinéma, c’est que les personnes vivent des actions de violences, d’aventures, de guerre et d’amour. A vrai dire, je ne sais pas ce que sera la réaction du public qui visitera cette exposition. Mais, en toute responsabilité, j’ai accompli un travail.

Ces affiches de cinéma que vous restaurez par une touche artistique, comment les avez-vous acquises ? 
Elles étaient à Bassam dans une situation d’abandon, sur le point d’être jetées – comme tout objet vieux dont on veut s’en débarrasser. Toute ma vie d’artiste, j’ai mis un accent particulier à la préservation des choses. Je me considère comme une conservatrice la mémoire des autres. J’ai donc pris sur moi de sauvegarder ces affiches dans mon garage à Grand-Bassam. Avec le temps, j’ai apporté ma touche à ce qui n’a pu être détruit, comme le ferait un artiste qui doit toujours prêter attention à tout ce qui l’entoure. Il y a une responsabilité sociale.

Peut-on admettre que vos travaux sont une sorte de documentation, un catalogue pour la postérité ?
Je pense. C’est une sorte de documentation, de souvenirs réélaborés. Parce que quand je suis arrivée en Afrique occidentale, précisément au Ghana – car j’y ai vécu plusieurs années- j’ai appris auprès des artistes ghanéens, le recyclage des matériaux. C’est une chose que j’ai beaucoup aimé chez les artistes contemporains en Afrique car, l’idée de donner en Afrique une vie nouvelle aux choses est très forte. C’est à l’image de ce que je restaure à travers cette exposition. Il y a aussi le titre que je donne à la série ‘’Never ending history’’ – une histoire sans fin, qui est le titre d’un film. Je me suis posé la question de savoir ce que je pourrais apporter de nouveau. A la couleur blanche que j’ajoute à l’affiche, je fais du collage avec différentes images qui donnent une affiche de film. Pour l’enfant de dix ans qui n’a pas vu ces films, il ne saura pas quels noms mettre sur les visages des acteurs ! L’image d’Harison Ford (Ndlr ; dans Indiana Jones) que je présente est différente du vrai Harrison par ce qu’il est noir ici ! On peut imaginer par exemple une situation à Hollywood qui a été marquée par beaucoup d’acteurs noirs. C’est une autre histoire du cinéma américain.

Vous associez aux photographies des panneaux publicitaires et des affiches de films de la peinture, comment élaborez-vous ce travail ? 
Le collage est un peu compliqué parce qu’à chaque moment, il faut noter un rapport entre les différentes surfaces. C’est difficile à expliquer car c’est très actif. On est amené chaque fois à créer de nouvelles compositions. C’est comme faire la peinture que je fais également. C’est tout un processus.

Pour vous, quelle est cette ‘’Histoire sans fin’’ et qui, trouve ici son prolongement dans votre série d’affiches ?
J’ai noté que dans les films de cette époque qui étaient projetés, surtout les affiches de films que j’ai trouvés, l’on ne parlait pas d’homosexualité. Parce que le sujet était tabou. J’ai pensé à faire des collages où je crée ce genre d’histoire. Je ne l’ai pas encore réalisé – peut-être que je le ferai un jour. C’est une autre histoire qui doit être dite. J’ai vu récemment un film réalisé sur Yves Saint Laurent et sorti il y a quelques mois. C’est une histoire qui parle d’homosexualité. Ici, dans les années 70, il aurait été difficile de projeter ce film. Je n’étais pas ici, mais j’imagine. Je ne pourrai donc parler de ce qui se passe actuellement ici car, je ne vais pas au cinéma. Autre réflexion, il n’y avait pas suffisamment sur les affiches des images de femmes qui disposaient d’un pouvoir. Elles étaient soit des victimes, soit très belles et décoratives. C’est une histoire qui mérite d’être changée. Toutes les affiches de films présentés ici sont des films qui ont été projetés en Côte d’Ivoire. Avant, il y avait une grande tradition d’aller au cinéma, que ce soit à Bassam où à Abidjan. 

Votre travail de préservation des affiches de films ne pose-t-il pas la problématique d’ouverture de ces salles de cinéma ?
C’est un réel problème mais, il n’y a pas que la Côte d’Ivoire. Tous les cinémas sont en train de fermer. Mais, d’un point de vue, mon travail s’achève dans cet espace. J’ose espérer que cela attire l’attention des gens. Je suis triste de le constater, mais cela ne relève pas de ma responsabilité. Je crée des images qui procurent sur nous des effets. On a quelques fois l’impression que ces images nous regardent et attendent que nous réagissions.

Depuis 2009 que vous êtes en Côte d’Ivoire, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la scène artistique ?
Quand j’arrivais en Côte d’Ivoire en 2009, je n’avais pas une nette appréciation des choses. J’ai connu Bruly Bouabré. En décembre 2009, Yaya Savané m’a permis de connaître sa famille. Dans le monde des arts en Côte d’Ivoire, ce sont les premières personnes, avec Yacouba Konaté, que j’ai connues à mes débuts ici. Par la suite, je visitais les ateliers pour connaître les artistes, car il était difficile d’avoir des informations. Au niveau de l’art visuel, il y a eu un véritable un rayonnement ces deux dernières années. Le regard du monde se trouve tourné au niveau des arts en général sur l’Afrique. A ce niveau, il faut beaucoup d’investissements publics, pour aider les jeunes artistes. Je vois qu’il y a eu un énorme changement.

Bruly Bouabré et Yaya Savané que vous avez rencontré dès votre arrivée en Côte d’Ivoire ne sont plus. Comment vivez-vous leur disparition ?
Fréderic Bruly Bouabré a eu une longue vie. Le moment était venu pour lui de partir peut-être. C’est triste mais c’est juste. Pour Yaya Savané, sa mort a été pour moi un choc. Pour le monde de la culture en général, c’est une grande perte. Un décès que je trouve prématuré, nous sommes tristes. Yaya Savané était très actif. Je n’en ai pas vu beaucoup mais, il était toujours une personne de référence.

Réalisée par Koné Saydoo

VIRGINIA RYAN

Exposition d'arts visuels du 01 au 16 mars 2015 à

La Maison de La Patrimoine Culturel de Grand Bassam

 « Vous êtes ici », telle est la signature de l'exposition d’art qui crée l’événement majeur de l’amorce de 2015 à la Maison du Patrimoine et sur des façades du quartier France à Grand Bassam. Véritable coup de pied magistral dans la fourmilière culturelle apathique d'une ville carrefour touristique convalescente des soubresauts postcoloniaux et du déplacement stratégique des centres d'intérêt du pays en termes d'investissement dans les infrastructures économiques et culturelsIl est vrai, dans le domaine culturel, hormis l'Abissa, Grand Bassam, se résumait à son profil maritime, au demeurant à une ville universitaire en chantier et quelques lueurs provenant de grands hôtels accueillant conférences et colloques, tant cette ville n'avait plus connu de mémoire d'homme une exposition d'arts visuels d'une telle envergure.

 Au travers de cette exposition, Virginia RYAN ravive la mémoire profonde de la ville de Grand Bassam par le dévoilement de la part cachée, notamment de l'objet photographique intime, privé et familial partant du citoyen lambda au plus visible par un mécanisme artistique personnel et original déclinant le collage, l’impression, l’affichage et la peinture. Elle réveille les vieux souvenirs, peut-être les vieux démons, le passé rangé, enfoui quelque part dans un album hors d’âge ou au fond d’un tiroir. Elle recycle artistiquement des postures figées dans le temps, peut-être déjà oubliées par des vacanciers, des amoureux, des vadrouilleurs d’un jour sur une plage ou hantant un édifice public, des portraits d'inconnus ou d'hommes politiques identifiables, des fêtards en tout genre célébrant un évènement ou une cérémonie particulière, des défilés commémoratifs, des bals populaires, des tourtereaux parés aux couleurs-pays et au prisme du temps, les premiers clichés de nouveau-nés ou d'enfants grimaçants devant l’objectif, des portraits de policiers et de gendarmes galonnés, etc.

Cette exposition décline des planches-reminiscentes d’Êtres qui, un jour, se sont pliés au jeu et à la magie de la boîte noire, ainsi que de tous ceux qui vivent, ont vécu ou sont passés par là et se sont laissés voler leur ombre à Grand Bassam. Ceux-là se reconnaîtront évidemment dans plus de deux-mille photographies acquises par Virgina RYAN avec les studios de photographies installés dans cette cité. D’une manière ou d’une autre, « Vous êtes ici » parce que vous avez vous-même un jour prêté et fait figer votre corps par un photographe de Grand Bassam. Vous êtes également ici parce qu'une part de vous-même par un lien quelconque se trouve nécessairement parmi tous les visages et corps estampillés aux flancs des murs, des façades, des toiles, des tableaux et des installations mis en exergues pendant deux semaines d'exposition en divers lieux du quartier France et à la Maison du Patrimoine au travers de la salle principale, la salle de réunion, une terrasse, un couloir, un balcon, un bureau, etc.

Virginia RYAN questionne artistiquement l’anthropologie visible de la cité bassamoise. Il s'agit notamment de produire un travail interactif dont la portée est essentiellement artistique et esthétique. Cet exercice purement plastique trouve ses figures, ses formes et ses ancrages dans la revisitation, la récupération, le recyclage des archives photographiques au travers les traces indélébiles et matérielles, les empreintes tangibles prenant comme champ d’action la mémoire collective replacé dans une posture dialectique dans et avec l’espace collectif ; ainsi que dans l’anthropologie culturelle ou sociale de Grand Bassam dans ce qu'elle possède dans l’acuité ou la fugacité des passages d’êtres aux destins et aux vécus certes singuliers, mais jamais neutres, car désignant toujours l’élément de civilisation de la communauté dans son entièreté au stade parvenu de son vécu au monde. L’exposition montre les figures intimes, mais elle les dépasse totalement pour emprunter seulement leur symbole, par la soumission ou l’assujettissement des corps intimes singuliers identifiables à la loi du groupe ou de l’ensemble opacifiant, c’est-à-dire à la pluralité de la masse voilante, enveloppante des corps voisins et des autres corps intimes. Les références, les horizons et les marges de cette exposition sont nombreux si nous considérons les grands courants artistiques depuis le début du 20e siècle avec Dada, Merz, par exemple, mais surtout depuis sa seconde moitié. Nous pouvons convoquer diverses écoles de pensées et de styles comme le Pop Art, le Nouveau Réalisme, le Happening, Support Surface, BMPT, COBRA, Arte Povera, etc. Nous pouvons également convoquer les manières de faire de divers artistes comme Christian BOLTANSKI, Jean LE GAC, Ernest PIGNON-ERNEST, etc. Cette exposition nous donne à comprendre qu’il ne s’agit pas de montrer prosaïquement l’âme secrète ou cachée d’une cité, il s’agit surtout de montrer l’art d’aujourd’hui tel qu’il est configuré dans certains de ses nombreux paradigmes. Sous certaines de ses apparences ou apparitions, « Vous êtes ici » présente une production d’envergure, dans une configuration qui peut être perçue comme une installation environnementale – celle-ci s’engage dans un processus de transformation, depuis le questionnement de l’objet abandonné et « possédé » à son implémentation au lieu de vie communautaire et à l’habitat abandonnés. Ici, les œuvres ou les actions de Virginia RYAN envahissent, habitent, habillent, prennent contrôle du cadre de performance et le conduisent vers des ailleurs, vers des horizons ou les idées peuvent se contredire, car autant les actions de l’artiste peuvent dégrader, mettre en danger, autant elles peuvent mettre en lumière ou réhabiliter durablement ou temporellement un environnement convenu.

L’artiste utilise pour ce faire un certain nombre de codes contemporains et postmodernes ardus du présentisme, du Work in Progress et autant de notions intellectuellement élaborées qui engagent l’œuvre dans l’instant vécu, le présent absolu, dans le « show » du moment sans nécessairement convoquer des perspectives de développement ou de conservation du produit obtenu (créé). Ces notions font perdre dans l’altérité et dans l’hybridation l’identité même de ce qui est créé ou toute forme d’artisticité attachée à l’œuvre d’art en mettant continuellement en évidence de nouvelles formes de projets et de pensées dites artistiques, ainsi que de processus de création qui n’ont plus pour objet la réalisation définitive d’un objet d’art précis, mais d’orienter l’attention vers le processus lui-même en donnant des approches et des perspectives possibles. En somme, le miroir du concept devient ou peut devenir le concept lui-même.

De toute évidence, l’œuvre obtenue n’a pas/plus pour objet d’embellir un environnement, ni même de plaire au public, elle peut consister à questionner concomitamment le processus de travail compris entre les limites du geste utile de l’artiste produisant du sens ou au contraire interroger la gratuité, la banalité de son action insensée.

Ce type de projets pullule de plus en plus dans l’environnement général des arts d’aujourd’hui, mais n’est plus nécessairement conçu comme un projet ordinaire ou « normal » parce que, non seulement, les créations n’ont pas toujours ou n’ont plus la dimension ou la configuration ordinaire des créations artistiques qu’on peut exposer dans une salle de séjour ou un salon, voire une galerie et un musée d’art (aussi vrai qu’on ne peut installer Spiral Jetty de Robert SMITHSON, ou Island, Reichstag de Christo tels qu’ils sont configurés dans leur environnement actuel, dans un musée ou une galerie), de surcroit elles se perdent ou peuvent se perdre dans la pluralité, l’hétérogénéité de formes et de savoirs faires qui revendiquent souverainement leur extra artisticité et le mélange de genre. 

Quand les œuvres se déploient en ville ou sont conçues in situ, en prenant le cadre même et l’espace évanescent de la ville comme champ d’expression ou espace-musée, elles ont d’autres approches et d’autres visibilités qui peuvent se paramétrer autour de l’intentionnalité artistique parce que le projet artistique qui peut disparaitre et se percevoir d’une multitude de manières et de façons, doit se soumettre à la seule intention de l’artiste et rien d’autre. Dans l’enceinte de la Maison du Patrimoine, leur déploiement dans les espaces est à interpréter comme l’expression et le langage d’un art qui nie au moins trois modèles anciens parmi lesquels, on peut citer l’ubiquité, l’éternité et l’évidence de l’œuvre. En cela, les œuvres de Virginia RYAN déclinent sous le concept « Vous êtes ici », une nécessité de la vision des œuvres en un seul endroit et nulle part ailleurs ; elles sont éphémères, périssables, transitoires, car vouées à la destruction quasi immédiate après l’exposition, hormis les traces-souvenirs photographiques et vidéographiques. La grande originalité des œuvres et leur exhibition dans l’espace public et commun peuvent prêter à confusion et troubler quant à leur portée réelle, leur utilité, voire leur dimension artistique intrinsèque.

Il n’empêche, dans le contexte bassamois ambiant, le travail de Virginia RYAN qui peut encore être perçu comme étranger aux habitudes locales a le mérite d’exister pour provoquer le débat sur les possibilités de construire un nouvel environnement, un nouveau « monde », non pas ex nihilo, mais avec les débris de l’ancien au sens de Kurt SCHWITTERS, tout en ouvrant grandement les portes de Grand Bassam à l’universel.

Dr Koffi Célestin YAO

Enseignant-chercheur à l’UFR Information, Communications et Arts

Université Félix Houphouët-Boigny

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Seydou Kone: L'Intelligent D'Abidjan 03 Mai 2014

'Je suis Une Conservatrice de La Memoire'

Après Pascale Martine Tayou dans «Akwaba, Assinie mon amour», la Galerie Cécile Fakhoury a exposé depuis le 2 mai 2014, l’artiste-peintre Virgine Ryan. Elle y présentait «Espace à louer», plus d’une centaine de pièces uniques en photographies, peinture et affichages. Un travail de documentation et d’archivage qui fait le parallèle entre un passé proche (affiches de cinéma des années 70) et un présent qui restaure depuis 2011 la mémoire ivoirienne à travers des photographies qui sélectionnent des panneaux d’affichage en Côte d’Ivoire. Rencontrée le mercredi 30 avril 2014, dans l’«Espace à louer», Virginie Ryan se dévoile.
La galerie Cécile Fakhoury vous ouvre aujourd’hui ses portes et vous y exposez vos récents travaux sous le thème d’un ‘’Espace à louer’’, quel sentiment cela vous procure-t-il ?
C’est un plaisir pour un artiste de disposer d’un tel espace avec tout le support professionnel qu’il y a, pour mettre en évidence mon rêve, fruit de plusieurs années de travaux. C’est un projet particulier qui se trouve concentré sur l’histoire d’Abidjan et de Grand-Bassam, à travers les images et des panneaux publicitaires. Ce sont des images bien particulières parce qu’elles sont toujours en contact avec un monde de désir. Ce sont des images qui communiquent sur le vécu des contemporains.

À travers ce regard que vous portez sur Grand-Bassam et Abidjan à travers vos images, quel retour espérez-vous des visiteurs à cette exposition ? 
Je souhaite qu’ils prennent davantage soin de la cité et qu’ils y posent un regard nouveau. Les photos que j’ai faites d’Abidjan sont une conversation visuelle entre la publicité contemporaine, la vie et les affiches. Pour moi, c’est un exercice pour la personne qui regarde pour comprendre la cité, à travers une vision nouvelle. Je ne pense pas qu’il y ait une personne ici, à Abidjan, qui n’ait pas vu ces affiches. C’est une sorte de coexistence entre nous, et le monde parallèle de la publicité. Etant artiste, je suis attirée par l’esthétique et je trouve esthétiquement intéressant les différents niveaux de publicité qui donnent ici un tableau final. Pour moi, c’est un projet de changer la manière de percevoir les choses. Ces images faites d’Abidjan définissent le présent et celles de Grand-Bassam, un passé proche où il y avait une habitude à fréquenter les salles de cinéma. Dans les années 80, on parlait de globalisation mais, à voir les affiches de cinéma des années 70, il y avait déjà la globalisation. L’Afrique occidentale a toujours été cosmopolite. Jai récrée une sorte de conversation pour faire comprendre que ces personnes qui sont identiques à nous, sont en réalité des ‘’demi-dieux’’. Elles sont idéalisées. Ce qu’il faut remarquer dans ces affiches de cinéma, c’est que les personnes vivent des actions de violences, d’aventures, de guerre et d’amour. A vrai dire, je ne sais pas ce que sera la réaction du public qui visitera cette exposition. Mais, en toute responsabilité, j’ai accompli un travail.

Ces affiches de cinéma que vous restaurez par une touche artistique, comment les avez-vous acquises ? 
Elles étaient à Bassam dans une situation d’abandon, sur le point d’être jetées – comme tout objet vieux dont on veut s’en débarrasser. Toute ma vie d’artiste, j’ai mis un accent particulier à la préservation des choses. Je me considère comme une conservatrice la mémoire des autres. J’ai donc pris sur moi de sauvegarder ces affiches dans mon garage à Grand-Bassam. Avec le temps, j’ai apporté ma touche à ce qui n’a pu être détruit, comme le ferait un artiste qui doit toujours prêter attention à tout ce qui l’entoure. Il y a une responsabilité sociale.

Peut-on admettre que vos travaux sont une sorte de documentation, un catalogue pour la postérité ?
Je pense. C’est une sorte de documentation, de souvenirs réélaborés. Parce que quand je suis arrivée en Afrique occidentale, précisément au Ghana – car j’y ai vécu plusieurs années- j’ai appris auprès des artistes ghanéens, le recyclage des matériaux. C’est une chose que j’ai beaucoup aimé chez les artistes contemporains en Afrique car, l’idée de donner en Afrique une vie nouvelle aux choses est très forte. C’est à l’image de ce que je restaure à travers cette exposition. Il y a aussi le titre que je donne à la série ‘’Never ending history’’ – une histoire sans fin, qui est le titre d’un film. Je me suis posé la question de savoir ce que je pourrais apporter de nouveau. A la couleur blanche que j’ajoute à l’affiche, je fais du collage avec différentes images qui donnent une affiche de film. Pour l’enfant de dix ans qui n’a pas vu ces films, il ne saura pas quels noms mettre sur les visages des acteurs ! L’image d’Harison Ford (Ndlr ; dans Indiana Jones) que je présente est différente du vrai Harrison par ce qu’il est noir ici ! On peut imaginer par exemple une situation à Hollywood qui a été marquée par beaucoup d’acteurs noirs. C’est une autre histoire du cinéma américain.

Vous associez aux photographies des panneaux publicitaires et des affiches de films de la peinture, comment élaborez-vous ce travail ? 
Le collage est un peu compliqué parce qu’à chaque moment, il faut noter un rapport entre les différentes surfaces. C’est difficile à expliquer car c’est très actif. On est amené chaque fois à créer de nouvelles compositions. C’est comme faire la peinture que je fais également. C’est tout un processus.

Pour vous, quelle est cette ‘’Histoire sans fin’’ et qui, trouve ici son prolongement dans votre série d’affiches ?
J’ai noté que dans les films de cette époque qui étaient projetés, surtout les affiches de films que j’ai trouvés, l’on ne parlait pas d’homosexualité. Parce que le sujet était tabou. J’ai pensé à faire des collages où je crée ce genre d’histoire. Je ne l’ai pas encore réalisé – peut-être que je le ferai un jour. C’est une autre histoire qui doit être dite. J’ai vu récemment un film réalisé sur Yves Saint Laurent et sorti il y a quelques mois. C’est une histoire qui parle d’homosexualité. Ici, dans les années 70, il aurait été difficile de projeter ce film. Je n’étais pas ici, mais j’imagine. Je ne pourrai donc parler de ce qui se passe actuellement ici car, je ne vais pas au cinéma. Autre réflexion, il n’y avait pas suffisamment sur les affiches des images de femmes qui disposaient d’un pouvoir. Elles étaient soit des victimes, soit très belles et décoratives. C’est une histoire qui mérite d’être changée. Toutes les affiches de films présentés ici sont des films qui ont été projetés en Côte d’Ivoire. Avant, il y avait une grande tradition d’aller au cinéma, que ce soit à Bassam où à Abidjan. 

Votre travail de préservation des affiches de films ne pose-t-il pas la problématique d’ouverture de ces salles de cinéma ?
C’est un réel problème mais, il n’y a pas que la Côte d’Ivoire. Tous les cinémas sont en train de fermer. Mais, d’un point de vue, mon travail s’achève dans cet espace. J’ose espérer que cela attire l’attention des gens. Je suis triste de le constater, mais cela ne relève pas de ma responsabilité. Je crée des images qui procurent sur nous des effets. On a quelques fois l’impression que ces images nous regardent et attendent que nous réagissions.

Depuis 2009 que vous êtes en Côte d’Ivoire, quel regard portez-vous aujourd’hui sur la scène artistique ?
Quand j’arrivais en Côte d’Ivoire en 2009, je n’avais pas une nette appréciation des choses. J’ai connu Bruly Bouabré. En décembre 2009, Yaya Savané m’a permis de connaître sa famille. Dans le monde des arts en Côte d’Ivoire, ce sont les premières personnes, avec Yacouba Konaté, que j’ai connues à mes débuts ici. Par la suite, je visitais les ateliers pour connaître les artistes, car il était difficile d’avoir des informations. Au niveau de l’art visuel, il y a eu un véritable un rayonnement ces deux dernières années. Le regard du monde se trouve tourné au niveau des arts en général sur l’Afrique. A ce niveau, il faut beaucoup d’investissements publics, pour aider les jeunes artistes. Je vois qu’il y a eu un énorme changement.

Bruly Bouabré et Yaya Savané que vous avez rencontré dès votre arrivée en Côte d’Ivoire ne sont plus. Comment vivez-vous leur disparition ?
Fréderic Bruly Bouabré a eu une longue vie. Le moment était venu pour lui de partir peut-être. C’est triste mais c’est juste. Pour Yaya Savané, sa mort a été pour moi un choc. Pour le monde de la culture en général, c’est une grande perte. Un décès que je trouve prématuré, nous sommes tristes. Yaya Savané était très actif. Je n’en ai pas vu beaucoup mais, il était toujours une personne de référence.

Réalisée par Koné Saydoo

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